Horaire continu Maroc

Publié le par Marie-Hélène GIGUÈRE

L’Economiste 16 08 2007
Horaire continu, deux ans après : Objectif très moyennement atteint
· Fonctionnaires et usagers toujours pas convaincus
· Moins d’une administration sur quatre dispose d’une cantine
Comme ci, comme ça. C’est ainsi que va le premier pilier de la réforme de la fonction publique: l’instauration du fameux horaire continu. Un peu plus de deux ans après leur suppression, les deux heures de déjeuner semblent toujours manquer aux fonctionnaires. Dans un volumineux rapport publié récemment, le ministère de la Modernisation des secteurs publics dresse l’état des lieux.
Premier constat: plus du tiers des employés de la fonction publique jugent le système inadéquat. Et il faut bien les comprendre: sur les 81 sites administratifs enquêtés, 72,8% ne disposent d’aucune infrastructure pour la restauration. Résultat: de nombreux fonctionnaires rentrent toujours chez eux pour la pause déjeuner, mais ne disposent que d’une demi-heure. Sacrée gymnastique!
Même son de cloche du côté des usagers: plus d’un sur trois demeure insatisfait de l’horaire continu. Si près de la moitié (44%) constatent une amélioration globale de la qualité du service public, plus du quart (27%) déplore une détérioration.
Trois raisons majeures sont invoquées: absence du personnel entre 12h et 14h, temps de service trop court à cause de la sortie à 16h30 et inadéquation avec leur propre horaire. Cette insatisfaction colle difficilement avec l’impact positif que l’horaire continu aurait eu, selon les fonctionnaires, sur l’organisation de leur travail. En effet, plus des trois quarts (78%) constatent une amélioration de leur rendement et de leur motivation. «On prévoit que cette proportion augmentera avec les années, car le phénomène de résistance au changement s’essoufflera» , avance-t-on dans le rapport.
Chez les entreprises, le verdict est plus cinglant: 39,6% d’entre elles considèrent que le traitement des dossiers est plus lent depuis l’horaire continu! Près du tiers (31,8%) des sociétés interrogées se sont également plaintes du non-respect de la permanence et du manque de personnel entre 12h et 14h.
Les avis demeurent donc extrêmement partagés, au sein même du personnel de la fonction publique. Par exemple, l’horaire continu aurait engendré une augmentation du temps de présence au travail pour la moitié des fonctionnaires seulement. L’autre 50% - étrangement - affirme n’avoir noté aucun changement à ce niveau.
Seulement trois employés sur cinq affirment disposer de plus de temps libre. Et alors que la réduction des dépenses quotidiennes était l’un des objectifs de la réforme, plus d’un fonctionnaire sur deux (54%) soutient qu’elles ont plutôt augmenté. Le tiers soutient n’avoir remarqué aucun changement.
L’enquête illustre à quel point le personnel des administrations peut être partagé et indécis vis-à-vis de l’horaire continu. Pour plus des trois quarts, la demi-heure de pause déjeuner est nettement insuffisante. Mais lorsqu’on propose d’y ajouter trente minutes et de les récupérer en retardant la sortie: 86,2% sont contre!
À en croire l’enquête, ce qui conviendrait le mieux aux fonctionnaires (58%), c’est la mise en place d’un horaire flexible. L’inadéquation de leur horaire de travail avec celui des autres membres de leur famille est fortement déplorée. Accorder une marge temporelle au niveau de leurs entrées et de leurs sorties exigerait toutefois de sérieuses mesures de contrôle et de gestion. Aujourd’hui, si les pointeuses sont présentes dans la majorité des administrations, le traitement des données recueillies fait gravement défaut. «Il faudrait définir les dispositions réglementaires relatives aux sanctions à adopter en cas d’absentéisme ou de non-respect de la plage horaire», prévient le document.
En attendant, les employés de la fonction publique ont développé des solutions. Fait étonnant: la plus populaire de ces solutions est de décaler le déjeuner jusqu’à la sortie du travail!
Enfin, l’enquête du ministère de la Modernisation soutient que les dépenses courantes des administrations ont diminué de 4,6%. «Et ce, malgré la hausse du coût de l’électricité, la climatisation et la mise à niveau de nombreux bâtiments», note l’étude. Des économies de 24,7% auraient été réalisées sur le carburant et l’entretien des véhicules. Le rapport propose de les redéployer sur un plan de financement de restauration collective pour fonctionnaires. La proportion de fonctionnaires qui adhèrent à la restauration collective est aujourd’hui de 46,6%. L’objectif est de la faire grimper à 80%, ce qui permettrait la création de 23.596 emplois. Mais attention, les fonctionnaires sont très clairs: 90% refuseraient de payer plus de 20 DH pour un repas au restaurant de leur administration.

La méthodologie
LA présente enquête a été réalisée entre décembre 2006 et janvier 2007, par la société Capital Consulting. L’objectif poursuivi par le ministère de la Modernisation des secteurs publics était d’obtenir l’état des lieux afin de pouvoir capitaliser sur les gains et les bonnes pratiques engendrés par l’horaire continu. L’enquête devait aussi permettre d’identifier les contraintes et de proposer des mesures de corrections. Ainsi, l’échantillon des fonctionnaires comptait 2.500 individus, répartis sur 17 départements ministériels et douze régions du Royaume. Les usagers étaient quant à eux au nombre de 1.000, répartis sur douze villes et sept départements ministériels disposant de guichets. L’enquête a aussi été menée auprès de 100 entreprises opérant dans quatre secteurs d’activités, soit l’industrie, le commerce, les services et le BTP. L’investigation s’est effectué en deux étapes: l’une qualitative - à l’aide d’entretiens - et l’autre quantitative - via des questionnaires.Marie-Hélène GIGUÈRE
 
Horaire continu, deux ans après : Le grand loupé de la restauration
· Seulement 4,9% des administrations ont un restaurant en cours d’aménagement
· La très grande majorité d’entre elles n’ont ni l’argent, ni l’espace nécessaire
Actuellement, près des trois quarts (72,8%) des administrations ne disposent d’aucune infrastructure de restauration. Et selon le rapport du ministère de la Modernisation des secteurs publics, il sera très difficile de renverser la vapeur. En effet, l’externalisation des services de restauration collective dans les administrations présente de nombreuses contraintes.
La première d’entre elles est l’équipement en infrastructures. «En tant que simples prestataires de service, les restaurateurs estiment que la construction et l’aménagement des locaux d’activité ne relèvent pas de leur domaine d’intervention» , rapporte le document. Or, la majorité des espaces administratifs ne disposent ni de l’espace, ni de l’argent nécessaire à la mise en place de ces locaux.
· Repas subventionnés?
L’écart entre les prix réels des repas et ceux que les fonctionnaires accepteraient de payer est également très important. Il faudrait compter autour de 30 DH selon les restaurateurs, alors que les employés refuseraient de payer plus de 20.
Afin d’assurer la pérennité des services, les administrations seraient donc obligées de subventionner une partie de la facture. Cette solution n’est évidemment pas envisageable pour l’instant. «Le budget de fonctionnement ne le permet pas», tranche le rapport. Enfin, les opérateurs interrogés par le ministère ont déploré le fait que les délais de paiement, auprès de ces mêmes administrations, soient déjà beaucoup trop longs. Ces obstacles de taille expliquent sans doute la faible proportion (4,9%) de restaurants en cours d’aménagement. Un des objectifs poursuivis par le ministère de la Modernisation , était bien évidemment la réalisation d’économies. Selon l’enquête, les dépenses courantes des départements de l’échantillon auraient en effet diminué. Pour l’électricité, on note une diminution de 6,1%, pour l’eau 17,9% et pour le téléphone 1,8%. Le rapport précise cependant que «la contribution exacte de l’horaire continu à cette baisse est difficile à mesurer, en raison de phénomènes extérieurs».
C’est sur l’économie en termes de consommation de carburant et de frais d’entretien des véhicules que la réforme semble avoir véritablement porté ses fruits. Elle serait aujourd’hui à hauteur de 24,7%, et représenterait 2,3 millions de DH. C’est d’ailleurs grâce à cet argent que le ministère se permet d’être aussi optimiste. Le succès de l’horaire continu dépend incontestablement de la mise en place d’aires de restauration dans les administrations. Or, comme celles-ci disposent d’un budget très restreint, les économies réalisées sur le transport du personnel devraient y être réinvesties. Quitte à intégrer, comme le suggère le rapport, le problème de la restauration des fonctionnaires dans la politique sociale globale du Maroc. Marie-Hélène GIGUÈRE

Publié dans Actualité

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